Actualité générale « Asphalte » dans la sélection des huit premiers romans de l’hiver du Figaro

« Asphalte » dans la sélection des huit premiers romans de l’hiver du Figaro

Ça commence par un souffle bruyant. Un adolescent s’élance dans Paris. «Trois inspirations, trois expirations. » C’est presque mécanique. II serre les dents, ses doigts sont moites, sa gorge brûle. Ce n’est pas un simple exercice. Un jogging. Ses cuisses pleines de bleus lui font mal, ses genoux pareils. II souffre à en vomir, pourtant il ne s’arrête pas. C’est comme si sa vie en dépendait. «J’abîme la douleur. » Victor, c’est son nom, dit qu’il «court», mais il ne court pas après quelque chose, non, il fuit. II est poursuivi, hanté même…

Tout va très vite dans ce premier roman. Les questions du lecteur d’abord. Que fuit Victor? Que s’est-il passé? Pourquoi est-il seul? La langue ensuite. L’écriture de Matthieu Zaccagna est rapide, pleine d’endorphine, nerveuse. Les mots frappent comme le pied du fugueur l’asphalte. Pas le temps de respirer ou si peu. Le texte est brut, les pages sont noires. L’encre se change en goudron. Nous voilà compagnons de douleur et Victor confie sa souffrance. «Papa ne parle pas, il hurle, crie, devient tout de suite très rouge et très violent. » II crache ses phrases comme ses larmes. « Je pleure souvent parce que je sais que Maman ne reviendra pas. »
« Douleur impérative » Victor court toujours plus vite, plus loin. II regarde le monde dériver autour de lui sans pouvoir s’y arrimer. Les souvenirs, seule ancre dans la tempête qui souffle dans sa tête, affluent. II se rappelle les repas périmés, les coups et les cris du paternel, la psy mais aussi les moments de répit. La famille qui danse, la mère et le fils qui croient qu’un «autre Papa est possible». Et puis la course redevient «effrénée, rageuse». La justesse des mots de Zaccagna nous désarme. Les assiettes volent au mur, le désespoir revient à table. Maman boit trop, elle finit par terre et ne se relève pas. Victor accélère. II se détruit le corps, il a la «douleur impérative» comme s’il méritait de souffrir… Dans cette nuit noire à crever, Victor trouve des éclats de lumière : Rachid, un skateur, Justine, un quadragénaire habillé en femme : avec lui, il partage «une sorte d’inadaptation ». Tout seul, l’ado a appris à prendre les coups, avec eux, il va apprendre à les esquiver. Comme Victor, ils connaissent l’asphalte. L’asphalte?

C’est ce lieu de l’inhabitable, peuplé de corps invisibles et indésirables. Mais c’est aussi ce lieu de tous les chemins où il suffit d’une main pour changer de destin. Un premier roman d’une grande force. Et le mot est faible.

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